11/01/2015

Narcisse


            C’était un petit lac à la clarté aveuglante. L’eau en était si limpide que j’avais l’impression de pouvoir voir le fond en son centre. Il était de forme ovale, d’une centaine de mètres de long tout au plus, lové dans le vert ondoyant de collines couvertes de pins, comme un diamant serti d’émeraudes dépolies. Sa clarté, de même que le sable fin qui tapissait le fond et la rive sans branche morte ou roche qui l’aurait troublé, lui conféraient un aspect irréel, celui d’une piscine miraculeuse formée par les éléments.

            Une dizaine de baigneurs épars étaient entrés dans l’eau. Des hommes et des femmes en maillot de bain, seuls, semblaient davantage inspecter le plan d’eau que s’adonner aux joies de la baignade. Bien plus que la clarté de l’eau, ce qui les fascinait jusqu’à les figer sur place était le miroir parfait de la surface. Les rides provoquées par les mouvements semblaient s’estomper instantanément, comme si l’eau était trop lourde pour être mue, et le reflet se trouvait à peine perceptiblement interrompu. Anomalie géologique ? Illusion d’optique d’une journée fraîche de printemps sans le moindre courant d’air ? Je ne saurais dire mais tous semblaient partager le même émerveillement devant cette eau qui n’avait rien du monoxyde de dihydrogène habituel. Tout y était reflété à la perfection. Vous pouviez suivre sans faille les méandres du trajet de chasse d’une libellule et de son double inversé à sa surface tout comme le haut vol plané d’un urubu. Je dirais même que le reflet semblait plus net encore que la réalité. C’était comme si une légère brume voilait les choses et les êtres alors que le lac renvoyait une image dont les contours semblaient graver votre rétine au tison ardent. Les contrastes étaient aussi plus intenses et les ombres avaient cette légère opalescence du vif-argent des alchimistes.

            Plusieurs fois j’ai vu des baigneurs stopper net leur marche dans l’eau. Ils paraissaient hypnotisés par leur image, guettant un rictus ou le mouvement rapide d’une paupière. C’était comme si leur reflet était leur véritable identité et que le pantin de chair qui composait leur corps n’avait été qu’un ersatz temporaire. Ils semblaient émus de se découvrir, ils semblaient renaître. Une femme a délicatement porté une main à la surface de l’eau pour se caresser la joue. Un homme a murmuré quelques mots qui pesaient lourdement sur son cœur et le mutisme bienveillant de son image l’a fait fondre en larmes. Cette vision n’avait pourtant rien d’angoissant. Il flottait une atmosphère sereine de réconciliation qui engourdissait l’esprit et alourdissait les gestes. Toute forme d’anxiété semblait être drainée dans le puits de cette eau. Tous en étaient épris. Je fut si troublé par ce spectacle que je pensai que s’il existait un dieu et qu’il avait un œil pour voir, ce ne pouvait être que cet étang à ciel ouvert où tous les drames s’abîmaient. Aucun dispositif ne pouvait mieux sonder les âmes que la plus parfaite des images.

            Mon attention se concentra sur un jeune homme à la peau matte et au corps superbement musclé. Son visage avait une finesse toute féminine à laquelle ses cheveux sombres et sa barbe en bataille ajoutaient une hardiesse sauvage. Je l’avais vu lentement rouler une grosse pierre en forme d’œuf vers le lac. Maintenant accroupi dans l’eau, il bougeait sa pierre d’avant en arrière, à tâtons, comme s’il cherchait un endroit précis où la bouger sans jamais le trouver. C’était comme si, malgré la limpidité phénoménale de l’eau, la pierre immergée n’étant pas reflétée à la surface, il ne la voyait tout simplement pas ! Quelle impression fascinante et terrifiante ! La vue en totale négation du toucher. Absorbé par son étude, le jeune homme roulait sa pierre, tel Sisyphe, en bordure d’un net clivage dans le fond du lac. Chose étrange, celui-ci semblait être composé de deux profondeurs distinctes sans la moindre progression entre les deux, comme s’il y avait eu autrefois un affaissement franc et soudain, ce qui accentuait davantage cette impression de piscine naturelle. Les baigneurs marchaient dans la partie moins creuse, de moins d’un mètre environ, et qui avait la forme d’une anse attachée à la rive. Mais tout semblait se jouer à la lisière des deux fonds. J’avais la conviction profonde que c’est là que l’enchantement prenait naissance.

            Soudainement, le jeune homme demeura pantois, ses bras ballants ruisselaient, son regard était vide. Il agita les mains au fond de l’eau, incrédule. Il semblait avoir égaré sa pierre. Il explora fébrilement le sable autour de lui. En vain. Il se mit alors à déambuler, tel un aveugle à la démarche chaloupée, en décrivant des arcs autour du point où il s’était aperçu avoir perdu sa précieuse pierre. Sans succès. Pourtant, il s’obstinait. Il allait et venait sans s’interrompre dans ce qui s’apparentait maintenant à une danse rituelle délirante et sans fin. Je me suis dit : « Il est devenu fou. »

            Afin de combattre cette impassibilité de l’eau qui sournoisement me gagnait et semblait même suspendre la flore aux alentours, je me dénudai et m’avançai vers elle. J’allais en avoir le cœur net. Je me penchai au-dessus de cette eau. Je choisis l’endroit le plus élevé de la rive et je plongeai là où débutait la partie la plus creuse. Je n’ai pas eu l’impression que mon corps fendait l’eau mais plutôt que celle-ci m’avait engourdi en un éclair sourd. J’ai été avalé par une lumière très intense et très brève qui m’a immédiatement fait perdre connaissance.


***


            Je suis revenu à moi dans un tumulte d’eau et de corps. Les baigneurs s’étaient rassemblés autour de moi pour me secourir mais semblaient lutter férocement entre eux, ou plutôt, j’avais l’impression qu’ils luttaient à bras le corps avec leur propre image incarnée de telle façon qu’il m’était impossible de différencier le double de l’original. Des reproches éclataient, des cris obscènes me déchiraient les tympans. J’étais stupéfait et paralysé sous les heurts. Des bras, des jambes, des poitrines haletantes m’écrasaient dans un remous bouillant de chair auquel se mêlait, à mon effroi, la viscosité de poissons éberlués, l’œil affolé d’oiseaux empêtrés et l’odeur oppressante du sexe qui se déchaîne.

            À l’apogée de cette étreinte, j’aperçus un corps étrangement familier se dégager des autres. Lorsqu’il s’approcha pour m’empoigner violemment, son visage se tourna enfin vers moi et je le vis dans un éclatement d’horreur sacrée s’aboucher à mes lèvres et plonger son regard insondable dans le mien. Il était en tous points identique. C’était moi.




Mathieu Laca
janvier 2015

18/10/2013

Les étapes d'un portrait

Un ami m’a récemment demandé de publier sur Facebook les étapes successives de création d’un portrait. Puisque l’expérience a plu à plusieurs, j’ai pensé la partager avec vous.
 


Le dessin préparatoire établit la composition.



Le regard crée une tension dramatique.



Utiliser des couleurs froides dans le modelé fait chanter la chair.


Animer le fond par des empâtements, des dégoulinures et de larges coups de pinceaux et de spatule, permet d’intégrer la figure et le fond et de prolonger jusqu’à l’abstraction la tension dramatique du regard.

Maintenant, je laisse le tout sécher quelque temps avant de possibles retouches de finition. Malgré, cela, on peut dire que le portrait est là.

23/08/2013

Junkie


Mathieu Laca, Junkie, huile sur lin, 92cm X 77cm, 2013


19/08/2013

Tête brûlée

Tête brûlée (de la série Pétrole), huile sur lin, 87cm X 87cm, 2013

24/05/2013

Censuré par Facebook


Encore une fois, mon compte principal Facebook a été bloqué pour un mois par Facebook. L'image enfreignant les conditions d'utilisation est celle-ci. C'est une publicité (à droite) que j'ai publiée il y a quelques mois pour annoncer une de mes expositions. L'oeuvre en question a été exposée à la galerie Patrick John Mills à Ottawa et à la galerie Modulum à Montréal. Elle a aussi été publiée dans la revue Être et dans le livre «100 Artists of the Male Nude (Schiffer Publishings, New Jersey)» en vente sur Amazon et chez Barnes and Nobles.

Connectez-vous à moi par ce nouveau compte Facebook.

08/01/2013

Vidéo Modulum

MODULUM from Mario Jean on Vimeo.

17/11/2012

Chronicles of Desire & Obsession (by Sanita Fejzic)

Mathieu Laca’s Scenes, Portraits of Self and Others


 White Triptych (right canvas), 2012


Mathieu Laca’s art confronts, shocks, demands, provokes. It is elegant and bare in its frankness and effect. And is immediately felt. Stimulated by complex layers, symbols and strokes, the viewer’s sense are triggered and stirred: a deep psychological penetration, an uncomfortable examination, a tender and brutal duel between artist and his desires and obsessions.

I stand still as my conscious and unconscious mind seeps in his body of work. I face my inner censor, moving my eyes from one point of focus to the next. What is art if not the inner movement that reveals our own shadows, desires and breaking points?

Strong in homoerotic and symbolic content, his work echoes the reality of how I experience life through the mind: a jungle, beautiful and wild, scary and scattered, surreal and full of recurring patterns I try to decipher and often fail to grasp—the more basic, banal and truly bestial nature of myself, an animal; myself an intellectual hungry for meaning; myself emotional, reacting with disgust, fear and sometimes, very rarely, with abandon and laughter.

Few artists are able to bring out my competing and complementary selves to the surface. The visual impact of Laca’s work bridges the gap between my angels and demons. My own desires and obsessions.

Symbols can be collective or personal: like the sunflower that flirts effortlessly with beauty and summer in Vincent Van Gogh II, or the deformed creature whose jaw has no face or eyes in Triptyque blanc (right canvas). Traditionally, art carries with it the essence of beauty. But that is only one effect on a spectrum of endless possibilities. Something strange and disturbing lurks below the surface of Laca’s work. A dark force, potent and violent that persists and insists. That leaves no easy interpretation. That draws me closer to myself.


Vincent Van Gogh II, 2012


First desire. Then obsession. What is the link? Desire burns inside the body, mind and soul. In his
series “Self-portraits on raw linen,” the subject’s body is contorted. Masculine flesh exposes the
contours of muscles and bones. In Alter Ego and Leitmotiv the figure sits in the same position: arms wrapped around leg, hiding the sexual organ. In the first painting, Laca is concerned with the effect of psychology on the body; the man leaps forward, stands up or holds back. Each one of these movements and their fluidity is an expression of desire. By nature, desire wants, reaches and holds back. This activity gives birth to tension and more desire.

In both portraits, a dash of red paint punctures the canvas, the colour of passion and symbol of blood. In Leitmotiv an antique saw is attached to the canvas. It’s powerful object with double-entendre. Hovering over the head, it represents strength and the back and forth pull of obsession. What is it that cuts the artist? Obsession with art (its tradition, movement and rupture), raw flesh, emotion, sex and the deep penetration of desire? Obsession with form and the male body? The intensity of it all.


 Leitmotiv, 2008


In both of these portraits, a yellow disk and an eclipsed sun hang on the upper left corner of the
canvas. In Horizon, Laca glued a rusted metal cover; in Avoidance, a sophisticated rose window bursts with abstract design. They echo the cyclical nature of desire and obsession. Obsession is an act of repetition, and desire craves more, always more. The combined intensity of these two forces prove ecstatic, as is the case in Reclining Nude. Notice no circle, no red in this portrait. A moment of surrender, the white of ejaculation. The face is tranquil, eyes are closed and hands are held under the back—the fullness and calm after the release of passion. The French title Gisant stands for a funeral sculpture found in Middle-Age French tombs, providing a window into the ambivalent relationship between desire and death.

Perhaps Laca’s most powerful representations of passion can be found in his series “Scenes.” His
painting White Triptych eludes me. My reaction is guttural; I am left with an uncomfortable feeling. The recurring symbol of the circle is here, this time it’s vivid red. Passion and blood, I feel it even if contextualizing it is difficult. Why the decapitation of woman and creature in the centre and right paintings? My mind wants an easy answer to make the discomfort disappear.

The artist has managed to tell me something about myself, whether by accident or with intent: I still haven’t learnt to sit still with discomfort. A personal truth, a deeply rooted protective instinct. I want to escape it, analyze and control it. Facing it is something else entirely.

Where did I learn to avoid discomfort? The cross above the bird with a human head, eyes Xed out.
Religion has taught me to be good, to walk away from the gruesome, the bloody and whatever else is deemed grotesque. I don’t need religion to know the distinction between ‘good’ and ‘bad.’ Society may have loosened up over time, but these notions are unconsciously preserved.

In Printemps québécois, Laca confronts current social issues, the student riots in Quebec. The red
square is a symbol with new meaning: access to affordable education. The policeman wears a mask, he has no identity, he is the hand of societal control, hitting and kicking. Is collective freedom necessarily gained through force? So long as the individual wears the mask of authority, he has the power to kick and hurt without truly looking at himself in the mirror.

And if we look in the mirror, what do we see?

In Rebirth, a baby’s head escapes from a man’s neck. It comes out of a fire of yellow and orange.
Blood drips. When we face the mirror and look at what is—reflection of desires, obsessions, beautiful and grotesque, unique and collective—are we born anew or are we simply raising our level of consciousness? Do we go back to a screaming infant, or do we see the many layers of our self?

A deeper understanding of these layers in his large painting, Mort ou vif (Dead or alive). Set in a
natural landscape, with a rocky mountain and green grass: battles between two horses and two men. Below the action, a newborn. This is an epic scene. Horses are prays, they are domesticated animals. Rarely do we see horses fight to blood, and yet this is exactly the frame of mind Laca puts us in. A layer below, two men, naked are also fighting. Neither penises are erect; there is no suggestion that the struggle is homoerotic and yet, the tone is clear. The opponents’ hands are on one another’s hip and shoulder. They are not violent, just firm.



Mort ou vif, 2012


The translucence effect merges the horses to the men. The baby’s body alone is painted in solid
colours. The same colours as in Rebirth. A dark green cord grounds the baby to earth, perhaps the
umbilical cord? Laca has said that he doesn’t see his work as violent, preferring instead the word
passion. One can deduce that, as in the relationship between desire and obsession, violence and
passion complement each other.

Passion is the intense heat of life. But the flame of violence destroys life. We see it in the
painting: it begins with the innocent cry of a baby; then the passionate wrestle between men; it
ends with a brutal bite to the jaw. If we look at Mort ou vif from point of view that life begins
innocently and grows passionately, then it seems only natural to conclude that violence ends in
death. The relationship between passion and violence is not cyclical, it is linear. Where violence
begins, passion ends.

A visceral reaction—almost instant, barely noticed—to Self-portrait on Green Ground. Thin and
thick brush strokes compose the colour of bare flesh. An intense concentration of texture and
deep strokes puncture at the mouth: black, stretched, screaming. Whose hands pull at the
artist, tearing him open?

The background is muted and ghostly, with the typical paint drippings and point of view found in
Laca’s portraiture. The atmosphere is serene in its choice of colours, with vivid and soft pastels
and yet, it’s full of intensity. Head slightly tilted, mouth torn open by the pull of hands: I realize I
am facing an orgasm. The fingers hold a gentle grip, they do not tear the skin. The mouth
opens wide and with surrender. I almost blush when I see the ecstasy in his face; I have
intruded intimacy. It makes me wonder if desire is bit into like an apple or if instead, pleasure
opens the mouth wide, pulling out a breath of surrender from deep within. The eyes will not tell,
they are closed.

Self-portrait on Green Ground is similar in style to Laca’s “Old Masters” series. In 2011, Laca
began his first series of portraits of iconic artists, ranging from Dali to Riopelle.

Laca researched the original pigments used by the cannons in their own work as a means to
get closer to the language of painting, to its source and history. He researched the original
colours used by the masters, including minerals like vermilion, lapis lazuli, orpiment, malachite,
madder lake, lead white pigment and Nicosia green earth. It’s this quality that gives each
portrait their authentic essence.

The result is formal and seeped in classical tradition, as is apparent by the style. What gives
the portraits their distinctive flair is the vivid strokes and drippings that connect them to their
contemporary context. In Jean-Auguste-Dominique Ingres, Laca reinterpreted the artist’s Selfportrait at age 24 (1804), staying loyal to the tone and intensity of the dark colours the French neoclassical painter is notorious for. The departure from the classical interpretation of the portraits is clear in the red and dark spatula effect on the right hand corner.

My eyes shift from Ingres’s large green eyes to the red paint and golden flower of the frame.
The effect is in the contrast between old and new. Left, right, left, right from tradition to
something completely unexpected.


Jean-Auguste-Dominique Ingres, 2012


In addition to the drippings and splashes of bright colour, the frame itself builds on the theme of old and new. Each frame is carefully composed, as in Gustav Klimt’s masterpieces whose golden
frames cannot be separated from the paintings they hug. Laca’s husband, Jean Comeau carves
wood and gilds his flowers and other motifs with gold leaves. Always conscious of structural
impact, Comeau ensures that his additions never touch the canvas or place any unnecessary
pressure on the frame. When he fixes his sculptures on the modern shadow-box frames, he
finalizes the work. Each piece adds meaning as, for example, in the portrait of Bosch, for which he
sculpted a small dragon in reference to the many creatures painted by the artist.

The connection between artist and artisan, husband and husband is profound. In his portrait Jean (77 cm x 61 cm), Laca’s brush strokes are balanced and beautiful. The focus is the eyes. When the spin of desire, obsession, passion, nakedness and rawness come to a halt, there is the stillness of love. Perhaps that’s what those blue eyes inspire in me. The vastness and endlessness of love.


Jean, 2012



Excerpt form the exhibition catalog Mort ou vif » 

Sanita Fejzic is a fiction writer based in Ottawa. She has published her poetry and short stories in various literary magazines including Guerilla, Byword and The Newer York. In the past year, she was the author of The Beaver Tales blog for Xtra newspaper as well as the Ottawa correspondent for 2B, Être and Entre Elles magazines. Prior to her independent writing career, Fejzic was also the Editor-in-chief of Muse magazine for the Canadian Museums Association as well as the English editor at the Canadian Museum of Civilization and the Canadian War Museum.

15/11/2012

Le regard, le temps et la décadence (par Normand Babin)



Francis Bacon, 2012, collection privée 

Le regard

Lorsque le regard vous a capté, vous venez de comprendre que vous ne serez plus maître de rien. Les personnages chez Laca ont un regard qui vous happe, vous rend captifs. Ces portraits de mentors sont tous un peu des autoportraits. Les multiples Laca sont là devant vous, à quémander leur existence dans votre vie. Laca lui-même s’est posé sur leurs épaules, et attend patiemment que vous succombiez à leur (son) charme. Le regard que vous porterez sur leur regard sera celui que l’artiste aura choisi de recevoir. Laca dirige de main de maître ces maîtres, anciens ou non, en vous les faisant voir avec ses yeux, et vous voyant par leurs yeux. Par son regard, il impose le regard du sujet, force le regard du regardant. Les yeux sont presque toujours les mêmes, leur expression uniforme. Tristesse ? Lassitude ? Amertume ? Oui et non. Les yeux des protagonistes des toiles de Laca ont la lourdeur d’un passé, la vision de la brièveté de l’avenir, la sourde sauvagerie latente. Ces yeux disent qui il est. Jeune et vieux à la fois, l’artiste ne se pâmera plus souvent, il préférera sourire aux anges. L’artiste ne voit plus que ce qui a été, mais surtout ce qui inévitablement sera. Sans l'ombre d’une nostalgie. L’homme est l’homme.



El Greco, 2011

Le temps

A-chronologique, les portraits se côtoient dans une foire intemporelle. Seuls le grand Œuvre et l’héritage donné à Laca discutent entre eux. Mais le symposium réunit l’humain qui a toujours été humain et l’humain-artiste, qui lui a toujours su sublimer son présent pour en faire un infini. Le fil historique de l’art est un cercle où tout s’arrime à tous les temps. Un cercle où chacun se fera face, où chacun pourra glisser d’une place à l’autre. L’histoire vue comme une ritournelle, l’histoire qui tourne en rond, non pas parce qu’elle ne crée pas, mais plutôt parce qu’elle crée continuellement, toujours pour les mêmes raisons, pour qui ou par qui que ce soit. Mathieu Laca a saisi l’impossible temporalité de l’oeuvre d’art véritable, l’impossible saison de l’artiste véritable.

Pérennité et éternité se confondent forcément. L’origine se tire du futur autant que d’hier. L’artiste véritable contemple de haut le roulement des siècles, sans participer à sa précipitation vers l’abîme. Il constate et pose un diagnostic ambivalent sur une évolution qui n’en est peut-être pas.



Jean, 2012

La décadence

Car tout fini par pourrir. Le corps, l’âme, les idées, les intentions et les valeurs. Autant en fixer les contours. L’homme devient bête, féroce ou sexuelle, le corps grouille de vermine, éclate de pus, le corps rejette sa condition humaine, se rend semblable à l’inhumain rapace. Le corps dévore à défaut de se faire dévorer. Le corps dévolue dans une orgie de coulis dégueulasses, dans une fête du macabre. Le corps se liquéfie, devient sang, devient fleuve.
Chez Mathieu Laca, il y aura toujours cette valse entre sublime et trivial, entre admiration et dégoût, entre larmes et crachats. Les dieux ne sont pas si dieux que ça : ils sont hommes. L’homme Laca nous rappelle qu’il ne faut pas rêver. S’il est toujours possible de voir le Beau, le fond est toujours moite et visqueux. L’homme peut toujours reprendre le dessus sur l’artiste. La bête peut toujours surgir des entrailles de l’homme. Et ce n’est pas pour autant qu’on sera triste et mauvais. La joie est dans le gras, le gargantuesque. Le plaisir est de se vautrer dans le stupre, de déraper dans les glaires, de glisser dans les marécages de l’âme si peu humaine.

Le regard chez Laca a vu que l’art chez Laca a vécu, vit et vivra dans une spirale souriante.

Le regard de Laca voit le corps qui a vécu, vit et vivra dans une déperdition joyeuse.



Normand Babin

Pianiste classique de formation, Normand Babin s’implique activement à la reconnaissance des designers et des artistes émergents. Depuis près de trois ans, il tient un blog, montrealistement.blogspot.com, où il relate les événements qui lui plaisent dans les arts visuels, en architecture, en design et en musique contemporaine. Il est commissaire aux expositions à la galerie Modulum depuis le printemps 2012.

22/08/2012

Mort ou vif - Site internet de l'expo / Website of the exhibition


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