15/11/2012

Le regard, le temps et la décadence (par Normand Babin)



Francis Bacon, 2012, collection privée 

Le regard

Lorsque le regard vous a capté, vous venez de comprendre que vous ne serez plus maître de rien. Les personnages chez Laca ont un regard qui vous happe, vous rend captifs. Ces portraits de mentors sont tous un peu des autoportraits. Les multiples Laca sont là devant vous, à quémander leur existence dans votre vie. Laca lui-même s’est posé sur leurs épaules, et attend patiemment que vous succombiez à leur (son) charme. Le regard que vous porterez sur leur regard sera celui que l’artiste aura choisi de recevoir. Laca dirige de main de maître ces maîtres, anciens ou non, en vous les faisant voir avec ses yeux, et vous voyant par leurs yeux. Par son regard, il impose le regard du sujet, force le regard du regardant. Les yeux sont presque toujours les mêmes, leur expression uniforme. Tristesse ? Lassitude ? Amertume ? Oui et non. Les yeux des protagonistes des toiles de Laca ont la lourdeur d’un passé, la vision de la brièveté de l’avenir, la sourde sauvagerie latente. Ces yeux disent qui il est. Jeune et vieux à la fois, l’artiste ne se pâmera plus souvent, il préférera sourire aux anges. L’artiste ne voit plus que ce qui a été, mais surtout ce qui inévitablement sera. Sans l'ombre d’une nostalgie. L’homme est l’homme.



El Greco, 2011

Le temps

A-chronologique, les portraits se côtoient dans une foire intemporelle. Seuls le grand Œuvre et l’héritage donné à Laca discutent entre eux. Mais le symposium réunit l’humain qui a toujours été humain et l’humain-artiste, qui lui a toujours su sublimer son présent pour en faire un infini. Le fil historique de l’art est un cercle où tout s’arrime à tous les temps. Un cercle où chacun se fera face, où chacun pourra glisser d’une place à l’autre. L’histoire vue comme une ritournelle, l’histoire qui tourne en rond, non pas parce qu’elle ne crée pas, mais plutôt parce qu’elle crée continuellement, toujours pour les mêmes raisons, pour qui ou par qui que ce soit. Mathieu Laca a saisi l’impossible temporalité de l’oeuvre d’art véritable, l’impossible saison de l’artiste véritable.

Pérennité et éternité se confondent forcément. L’origine se tire du futur autant que d’hier. L’artiste véritable contemple de haut le roulement des siècles, sans participer à sa précipitation vers l’abîme. Il constate et pose un diagnostic ambivalent sur une évolution qui n’en est peut-être pas.



Jean, 2012

La décadence

Car tout fini par pourrir. Le corps, l’âme, les idées, les intentions et les valeurs. Autant en fixer les contours. L’homme devient bête, féroce ou sexuelle, le corps grouille de vermine, éclate de pus, le corps rejette sa condition humaine, se rend semblable à l’inhumain rapace. Le corps dévore à défaut de se faire dévorer. Le corps dévolue dans une orgie de coulis dégueulasses, dans une fête du macabre. Le corps se liquéfie, devient sang, devient fleuve.
Chez Mathieu Laca, il y aura toujours cette valse entre sublime et trivial, entre admiration et dégoût, entre larmes et crachats. Les dieux ne sont pas si dieux que ça : ils sont hommes. L’homme Laca nous rappelle qu’il ne faut pas rêver. S’il est toujours possible de voir le Beau, le fond est toujours moite et visqueux. L’homme peut toujours reprendre le dessus sur l’artiste. La bête peut toujours surgir des entrailles de l’homme. Et ce n’est pas pour autant qu’on sera triste et mauvais. La joie est dans le gras, le gargantuesque. Le plaisir est de se vautrer dans le stupre, de déraper dans les glaires, de glisser dans les marécages de l’âme si peu humaine.

Le regard chez Laca a vu que l’art chez Laca a vécu, vit et vivra dans une spirale souriante.

Le regard de Laca voit le corps qui a vécu, vit et vivra dans une déperdition joyeuse.



Normand Babin

Pianiste classique de formation, Normand Babin s’implique activement à la reconnaissance des designers et des artistes émergents. Depuis près de trois ans, il tient un blog, montrealistement.blogspot.com, où il relate les événements qui lui plaisent dans les arts visuels, en architecture, en design et en musique contemporaine. Il est commissaire aux expositions à la galerie Modulum depuis le printemps 2012.

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