30/04/2012

Titien en cavale / Titian on the loose

Mathieu Laca, Tiziano Vecellio (a.k.a. Titian), oil and traditional pigments on linen /huile et pigments traditionnels sur lin, 77cm X 62cm, 2012


Titian lived to be 86 years old. His artistic inheritance was enormous. He was the head figure of the Venetian School, known for its legendary use of color (as opposed to the Florentine School [Michelangelo] for which drawing was pre-eminent) and the Netherlandish technique of oil painting. What I find most interesting about Titian is not that role in art history but rather this particular phenomenon we encounter with painters who live quite old (we see it with Goya too). Their style changes radically. Their colors are darker and they become wonderfully sketchy. Their brushwork becomes so alive! They don’t bother polishing anymore. They have nothing to prove. No one to please. That’s what happened to Titian at the end of his life. He painted as if he was on fire! His Flaying of Marsyas is one the greatest examples of that late ecstatic freedom.



Le Titien a vécu 86 ans. Son héritage artistique a été considérable. Il était la figure de proue de l’École de Venise, reconnue pour son utilisation légendaire de la couleur (par opposition à l’École de Florence [Michel-Ange] pour laquelle le dessin avait la prééminence) et la technique de la peinture à l’huile importée alors de Flandres. Pourtant, ce qui m’intéresse chez lui n’est pas tant son rôle dans l’Histoire de l’art que ce phénomène particulier qu’on retrouve chez les très vieux peintres (on le remarque chez Goya aussi). Leur style change radicalement. Leurs couleurs deviennent plus foncées et ils deviennent merveilleusement désinvoltes. Leur touche devient si vivante! Ils ne s’embarrassent plus avec des détails. Ils n’ont plus rien à prouver et ont perdu le soucis de plaire. Leur gestuelle éclate littéralement. C’est ce qui est arrivé au Titien à la fin de sa vie. Il peignait comme s’il était en feu. Son Supplice de Marsyas est un des plus beaux exemples de cette liberté extatique consommée sur le tard.


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My portrait was painted using only pigments that were available to Titian in his time. Below is how a few of those pigments are distributed in my work. Click here to read more on my research about traditional pigments.

Mon portrait a été peint en utilisant seulement des pigments qui étaient disponibles pour Le Titien à son époque. Ci-dessous, vous trouverez la répartition de quelques-uns de ces pigments. Cliquez ici pour plus de détails sur ma recherche à propos des pigments traditionnels (texte en anglais).

 

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Below is a detail of the frame. Just as the painting, the framing also refers to tradition. It quotes traditional woodcarving patterns with a copper leaf onlay at the bottom left corner of the otherwise very modern oak shadow box.

Ci-dessous, un détail du cadre. Comme la peinture, l'encadrement fait écho à la tradition. Il cite des motifs traditionnels de la sculpture décorative par l'ajout d'une applique dorée à la feuille de cuivre dans le coin inférieur gauche du pourtant très moderne encadrement à gorge en chêne.







Titian, The Flaying of Marsyas / Le Supplice de Marsyas, 1575

29/04/2012

Il a fait l’amour à l’Art (The First Time He Made Love to Art)

Mathieu Laca, Si comme lui... graphite et encre, 1999
(English follows)

C’est un dessin de bonnes dimensions : 104 cm X 125 cm. Au catalogue de ses œuvres, il porte le numéro D99005. Donc, il fut exécuté en 1999. Je me souviens, c’était au début du printemps, ou peut-être encore à la fin de l’hiver. 1999? Il n’avait donc que 16 ans. Il était très… non… affreusement discret. On pouvait lire dans ses yeux une tristesse infinie; ça en était insoutenable. Tout le monde savait trop bien que quelque chose n’allait pas. Mais quoi?

Même le directeur de l’école convenait que ce n’était pas un jeune comme les autres. Son professeur d’art disait à qui voulait l’entendre qu’elle était fascinée de ce qu’il pouvait produire simplement avec un bout de papier et un crayon. Devant tant de preuves de son talent exceptionnel et se rendant aux pressions de plusieurs adultes, le directeur d’école a fini par dénicher quelque part une pièce bizarre qui avait été engendrée par deux rénovations mal planifiées, une pièce toute en longueur inutilisable pour des fins scolaires qu’on a vite nommée «l’autobus» à cause de sa forme. Cette garde-robe surdimensionnée ou plutôt cet entrepôt négligé est devenu son atelier personnel. C’est fascinant de constater comme les administrateurs scolaires peuvent se transformer en véritables magiciens lorsqu’ils font face à un problème insoluble qui leur fait un peu peur! Surtout lorsqu’ils craignent que ce problème un tantinet explosif puisse ternir la réputation de leur institution. Un élève trop brillant mais triste et renfermé c’est une grenade dégoupillée pour eux!

Au bout de quelques mois à suer sur des dessins, des peintures et des sculptures, après des centaines d’éclaboussures d’acrylique et d’encre de Chine, un soir, il se fit encore plus discret qu’à l’habitude, si tant est que la chose soit possible. C’est tout juste si on entendait le frottement du bâton de graphite sur la grande feuille de papier épinglée au mur. Honnêtement, je ne suis pas vraiment sûr qu’il respirait.

Au début, ce n’était rien d’autre qu’un amas de lignes et de courbes désorganisées. Puis, je le vis apparaître : un être désespéré arrachait de grands pans du mur derrière lequel il était prisonnier. Un être troublé, déchiré. Un personnage tragique… un drame. Un personnage qui retient depuis trop longtemps un hurlement. Un être tentant désespérément de crier toute la douleur emprisonnée dans son corps trop frêle, cette insoutenable douleur que bien peu de gens savaient voir. Un être qui s’est figé dans cet état, un être qui n’a jamais crié, qui n’a jamais hurlé. Une douleur fossilisée dans une nuit insondable.

Ce soir-là, j’ai compris qu’il pourrait probablement sourire un jour. Il venait de découvrir que le bonheur est possible malgré tout, malgré l’angoisse, malgré le chagrin, malgré la solitude, malgré… Que grâce à l’Art, le bonheur est possible.

Ce soir-là, pour la première fois, il avait fait l’amour à un tableau, il venait d’embrasser l’Art.

Comeau
 
The First Time He Made Love to Art

The drawing is a mighty large one: 41” X 49”. In his catalog of works, it bears the number D99005. So it was made in 1999. I remember, it was early Spring, or maybe still late Winter. 1999? So he was only 16 years old. He was a very, no, terribly quiet teenager with so much sadness in his eyes that it was almost unbearable. Everybody knew there was something wrong, but what?

Even the school principal was convinced that he was no ordinary kid. Since his art teacher was astonished by what he could do with a simple pencil and a piece of paper, the school administrators accepted to let him use some kind of weird room, some residual space between two renovated classrooms. This huge wardrobe or small stockroom became his private studio. Isn’t it marvelous miracles school administrators can do when they are stuck with a problem they can’t solve? Especially if they fear the problem may eventually tarnish the school’s reputation! A very bright and much too sad kid, that’s a bomb for school administrators.

After a few months of working on drawings, paintings and sculpting, after many splashes of acrylic paint and India ink, one evening, he was especially quiet. We could only hear the scratches of a graphite stick on a large piece of paper tacked to the wall. I’m not even sure he was breathing!

At first, it was nothing else than unorganized lines and curves. And then, it started to appear: a figure ripping the black wall behind which he was held prisoner. A tormented figure. A tragic figure. A figure ready to scream. A figure ready to shout all the pain buried in a fragile body, a body that could not bear anymore a suffering that very few people could identify. A figure that froze just like that, a figure that never screamed, never shouted.

After that, he started to smile more and more. We could see he discovered that happiness is possible even if your life is too dark. That happiness is possible through art.

That evening, for the first time, he made love to art.

Comeau

28/04/2012

Du sang dans les chaussons (Blood in the Ballet Pumps)

Mathieu Laca, Rose Sélavy (Portrait de Marcel Duchamp), huile sur lin / oil on linen, 46cmX38cm, 2012

 (Enflish follows)
J’ai toujours eu une admiration inconditionnelle pour les danseurs; surtout les danseurs classiques. Quand j’étais enfant, mon plus grand rêve était de devenir danseur; je me voyais en Barychnikov ou, pour être bien sincère, plutôt en Margot Fonteyn. Les costumes sont tellement plus grandiooooses!! Je me voyais en chaussons à pointes emporté frénétiquement en dizaines de piqués légers de jardin à cour, pendant que la foule en délire hurle des bravos, éblouie par une pétarade de minuscules éclairs projetés par les millions de paillettes qui tombent en cascade sur les flancs légers de mon tutu rose. Ça, c’est mon petit côté Drag Queen! Au fait, vous pouvez le deviner, j’ai adoré le film Black Swan! Maaaagnifique! Et, tant qu’à y être, puisque je dois crever un jour ou l’autre, je demande au Ciel de m’accorder la grâce de mourir les tripes transpercées d’un éclat de miroir souillé de MakeUp, en hurlant à fendre l’âme pendant que des milliers de petites plumes volent partout, soufflées par trois gros ventilateurs en coulisses, et qu’elles vont griller aux cintres de la scène sur les réflecteurs fumants. Je vois la scène d’ici. Maaaagnifique. Surtout que je n’ai pas l’intention de crever avant l’âge de 96! Fêter mes 96 ans sur des chaussons à pointes et en tutu rose! Si la Providence m’accorde cette faveur, je me considèrerai quitte pour l’enfance merdique que j’ai eu à endurer à tenter de m’insérer quelque part dans les équipes de hockey qui me rappelaient à grandes taloches derrière la tête et à coups de pieds au cul que les fifs n’ont pas d’affaire dans les jeux de gars.

Je vous demande pardon! Il m’arrive, comme ça, que je me laisse emporter! Pour en revenir à mon admiration inconditionnelle pour les danseurs classiques, je voudrais souligner le fait que l’on n’apprécie pas la valeur d’un danseur à ses performances sur scène mais à la quantité de sang dans ses chaussons. Et croyez-moi, cela vaut tout autant pour l’art visuel.

Savoir comment construire un bon faux-cadre, comment choisir la bonne toile de lin et la tendre selon les règles de l’art, savoir bien appliquer le bon gesso… Savoir travailler le gesso traditionnel, celui qui pue et qui craque. Savoir préparer et appliquer la nauséabonde colle de peau qui ressemble plus ou moins à de la vomissure de lendemain de veille. Savoir comment s’y prendre pour polir la surface sans suffoquer. Savoir fabriquer sa propre peinture en broyant les pigments avec cette grosse mollette de six pouces qui tourne inlassablement en faisant d’érotiques bruits de succion; se faire des tendinites jusqu’au jour où on finira par pouvoir se payer quelque tubes de peinture Michael Harding… ou jusqu’au jour où l’on tombe d’inanition parce que, voulant finir de broyer son tube, on a oublié de manger. Savoir travailler l’encaustique sans se brûler au troisième degré. Savoir peindre à la tempera sans devenir aveugle… ou carrément fou. Savoir appliquer le lapis lazuli et l’orpiment sans s’empoisonner. Savoir… Savoir… Savoir… apprendre… ne jamais cesser d’apprendre… toujours se poser des questions… chercher les réponses sans se décourager.. ne jamais accepter le moindre compromis. Ça, c’est le sang dans les chaussons du peintre!

Comme on est loin d’aller s’acheter trois ou quatre tubes chez Omer, un beau petit canevas déjà stretché tout prêt puis un petit pinceau en éventail, et de s’installer dans la joie et l’allégresse pour peindre un beau petit bouquet de fleurs dans un gentil petit pot en forme de lapin neurasthénique!


 
Blood in the Ballet Pumps

I have always admired dancers; especially classical dancers. When I was a kid, becoming a great dancer was my biggest dream; I could see myself as Barychnikov or, to be really frank, as Margot Fonteyn since the costumes were so much more faaabulous, wearing blocked shoes and tiptoeing through the stage while spectators were cheering, blinded by the reflection of thousands of spotlights on the countless sequins sewed on my marvelous pink tutu. That’s my flaming queen side. By the way, I just loved Black Swan! So faaabulous! And, since I have to die one day or another, I hope that the Almighty with let me die with a piece of broken makeup stained mirror stuck in my belly, screaming and loosing white feathers all over the place. I can imagine the scene; especially since I expect to die being at least 96! So faaabulous! At least that would make up for the shitty youth I had trying to fit somehow in the local hockey team!

Forgive me! I sometimes get carried away like that! Coming back to my admiration for ballet, I would like to stress the fact that the best way to appreciate a dancer is not through her performance on stage but through the amount of blood in her pumps. And I believe that it goes for visual art as well.

Knowing how to build the right stretcher, how to choose and stretch the appropriate canvas, to apply the right amount of gesso, the right kind of gesso… Knowing how to work with traditional gesso. Knowing how to prepare and apply that stinking rabbit skin glue. Knowing how to polish the surface. Knowing how to make your own paint with that huge 6” diameter glass muller until you can afford these Michael Harding’s tubes or until you faint from exhaustion. Knowing how to handle encaustic paint. Knowing how to apply tempera. Knowing… knowing… knowing… learning… never stopping to learn… always asking questions… always looking for answers… never accepting not even the least compromise, that’s the blood in the painter’s pumps!

How far are we from getting a couple of cheap tubes at the local art store and painting a nice look-alike bunch of flowers in a shiny gold pot.

That too makes the real artist!

Comeau

25/04/2012

La Nuit de l'Oracle



 Mathieu Laca, La Nuit de l'Oracle (détail) 2011
(English follows)

À mon premier contact avec l’œuvre de Mathieu Laca, La Nuit de l’Oracle, j’ai réagi de manière bien étrange. J’ai ressenti une espèce de tristesse mêlée d’érotisme, une nostalgie indescriptible mais assurément sensuelle. La scène représentée est forte et puissante, mais également mystérieuse ; le tableau me parlait comme rarement une œuvre n’a su le faire. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris ce que cette œuvre voulait me dire.

Mes années d’études au Collège Universitaire (établissement ancêtre du cégep) n’ont pas été mes plus heureuses, loin de là. Je vivais seul dans une ville que je ne connaissais pas, et je devais travailler d’arrache-pied pour apprendre le latin, le grec ancien, la littérature française et malheureusement bien d’autres matières qui semblaient toutes plus assommantes et inutiles au jeune de 17 ans que j’étais. Par contre, comme ma mère l’exigeait, je me devais d’être le meilleur élève de ma classe ; ma mère a toujours été pour moi un tyran qui n’exige rien de moins que l’on satisfasse ses moindres caprices. Alors, pour éviter de sombrer inévitablement et définitivement dans la démence, je passais d’interminables heures à contempler les œuvres d’art qui illustraient mes manuels scolaires. L’une d’elles me fascinait particulièrement : il s’agissait de l’œuvre Les Sabines de Jacques-Louis David. Bien sûr, les superbes corps nus y étaient pour beaucoup dans le trouble que je ressentais mais l’émotion dépassait largement la banale excitation sexuelle. J’ai passé des heures, de longues et très plaisantes heures simplement à admirer cette scène.

C’est à cette œuvre que me fait penser La Nuit de l’Oracle. Y a-t-il une parenté à ce point évidente entre les deux œuvres ? Rien n’est moins sûr ! Ce n’est qu’une impression, une bien étrange mais bien plaisante impression. Plaisante car cette impression me vient d’une période bien importante de ma vie, cette période de mon existence au cours de laquelle j’ai compris que la vie peut nous procurer des plaisirs bien subtils, des plaisirs bien plus sensuels que tout ce que j’ai pu ressentir au cours de mon enfance.

Je pense que l’œuvre de David a fait pour moi ce que le Saint-Sébastien de Guido Reni a fait dans la vie de Yukio Mishima. Dans sa Confession d’un Masque, Mishima raconte comment l’œuvre de Reni lui a valu sa première véritable expérience sexuelle.

De La Nuit de l’Oracle aux Sabines, des Sabines à Saint-Sébastien, de Saint-Sébastien à l’œuvre puissante de Yukio Mishima, l’art est une chaîne ininterrompue d’émotions subtiles qui rendent les pires périodes de notre vie supportables et qui donnent aux moments magnifiques tellement plus de puissance.

Si vous êtes un artiste et que vous suez à grosses gouttes devant la prochaine œuvre que vous comptez présenter, peut-être vous préparez-vous à provoquer tout un impact dans la vie de quelqu’un, peut-être même dans la vie d’un jeune qui se torture littéralement à vouloir devenir lui-même artiste. C’est pour ça que vous travaillez avec tant d’acharnement. Et peut-être qu’un jour, ce jeune éveillera à son tour, en vous, une mystérieuse mais puissante émotion.

 Les Sabines de Jacques-Louis David     Mathieu Laca, La Nuit de l'Oracle
 Saint-Sébastien de Guido Reni     Yukio Mishima en Saint-Sébastien
 
When I first saw Mathieu Laca’s painting Oracle Night, I felt something particularly strange. It was a mix of sadness and eroticism, some kind of indescribable nostalgia. The scene has something very powerful, very mysterious but I felt that this work was talking to me as nothing else could. And, one day, I understood what the work was trying to tell me.

My college years were not, and by far, the happiest years of my life. I was living alone in a city I didn’t know, having to work very hard to learn Latin, Greek and French literature, and many other topics that sounded rather boring and especially useless to the seventeen years old kid I was at the time. But, as my mother required, I had to be the best student in my class; she had always been some kind of tyrant to me and I never had any other choice but to please her. So, just to make sure I didn’t become crazy, I used to spend long hours contemplating those pictures of classical works of art printed in my books. One of them was especially fascinating: it was Jacques-Louis David’s Intervention of the Sabine Women. Of course, the naked bodies were for something in the excitement the picture aroused but I believe it was much more than a simple trivial sexual feeling. I could spend hours just looking at the painting, long and very pleasing hours.

That is what Oracle Night reminded me of. Is there an obvious relationship between the two works; not sure. It’s only a feeling, a very strange but so pleasant feeling. Pleasant because it represents such an important part of my life, that part of my life when I learned that life could bring very subtle pleasures, pleasures much more sensuous than everything I had experienced during my childhood.

I think that David’s work did for me what Guido Reni’s Saint-Sebastian did in the life of Yukio Mishima. In his Confessions of a Mask, Mishima relates how Reni’s work granted him his first real sexual experience.

From Oracle Night to the Sabine Women, from the Sabine Women to Saint-Sebastian, from Saint-Sebastian to the powerful work of Yukio Mishima, art is an unbreakable chain of subtle feelings that makes even the worst parts of our lives bearable and the happiest parts so much more valuable.

If you are an artist working on the next piece you intend to show, maybe you are about to make a huge difference in the life of somebody, maybe in the life of a sad kid working his ass off to become an artist himself. That’s why you are working so hard. And maybe, some day, this sad kid will awaken that very powerful and very mysterious feeling in your heart.

 Comeau

24/04/2012

Matisse, Vermeer and the Garbage Can

Henri Matisse, huile sur lin / oil on linen, 31cmX31cm, 2011


A painter has really no serious enemies like his bad paintings.   Matisse


(Le français suit.)
There are very down-to-earth reasons why, once in a while, I destroy some of my works. Storage issues for instance. I’ve been painting up to 60-80 works per year for over 10 years (and some works are as big as 8’X12’). So, storage is definitely something I think about. Making space clears my mind. It’s refreshing. It sets the ground for something new. Also, the possibility of reusing stretchers, and therefore not having to build new ones, is valuable. But as Matisse rightly points out, the main reason for destroying works is artistic. It’s part of a good artistic hygiene. We forget that creation often comes out of the destruction of what precedes. My advice is: get rid of your enemies! Looking at a work, I ask myself: “Is this an imprint I want to leave for the world?” If the answer is no or not really, than the work has no other value than the one of the canvas it’s painted on. But you might ask how do I REALLY know. I don’t. I just feel it. Sometimes, it can take up to 10 years before I can decide if a work is good or not. Until that time, I’m still too tied to the concerns it expresses. Sometimes, I can decide after just a few months. Some works are part of experiments that led nowhere, some are so apart from what I do now that I can’t reconcile with them, some have technical defects, some are just too plain compared to other works from the same series, some have sentimental value but no artistic value, etc. All these reasons are good for destroying a work. And unlike certain artists, when I destroy a work, there’s no fancy ritual. I don’t dance naked around a bonfire. Also, I’m not so famous that I have to cut them to pieces in fear that people might comb through my garbage. It just goes straight to the garbage can. No regret.

We only know around thirty works by Vermeer. So, it’s not the quantity that counts, it’s the quality. You have to be able to be your own judge. After all, every artist is his first viewer. What’s most important for me is the coherence of the vision. The strength of the gaze. And it must suffer no half-measures.


***


Un peintre n’a d’ennemi que ses mauvais tableaux.   Matisse


Il y a plusieurs raisons très terre-à-terre pour lesquelles je détruis certaines de mes toiles. Récupérer de l’espace de rangement par exemple. Je peins jusqu’à 60-80 œuvres par année depuis plus de dix ans (et certaines ont jusqu’à 8’X12’). Alors, le rangement est décidément un élément à considérer. Faire de la place me libère l’esprit. Ça met la table pour du nouveau. Aussi, la possibilité de réutiliser les faux-cadres et donc de ne pas avoir à en construire de nouveaux a sa valeur. Mais comme Matisse le dit si bien, la raison principale pour détruire des tableaux est artistique. Ça fait partie d’une bonne hygiène artistique. On oublie trop à quel point la création naît souvent de la destruction de ce qui précède. Mon conseil est : débarrassez-vous de vos ennemis! Regardant une de mes œuvres, je me demande : «Est-ce une empreinte que je veux laisser au monde?» Si la réponse est non ou pas vraiment, alors l’œuvre n’a d’autre valeur que celle de la toile sur laquelle elle est peinte. Mais vous allez me demander comment je peux VRAIMENT savoir. Je ne sais pas. Je le sens. Parfois, ça peut prendre jusqu’à 10 ans avant que j’aie le recul nécessaire pour décider. Avant cela, je suis encore trop attaché aux enjeux que l’œuvre met en scène. D’autres fois, je peux décider après quelques mois seulement. Certaines œuvres sont des expérimentations qui ont mené nulle part, certaines sont si différentes de ce que je fais actuellement que je n’arrive pas à me réconcilier avec elles, certaines ont des défauts techniques, certaines sont simplement ternes comparées à d’autres œuvres de la même série, certaines ont une valeur sentimentale mais aucune valeur artistique, etc. Toutes ces raisons sont bonnes. Et à la différence de certains artistes, quand je détruis une œuvre, il n’y a pas de rituel élaboré. Je ne danse pas nu autour du feu. Aussi, je ne suis pas si connu qu’il m’est nécessaire de les réduire en lambeaux par crainte que les gens épluchent mes poubelles. Ça va directement à la poubelle. Sans regret.

Nous ne connaissons qu’une trentaine de tableaux par Vermeer. Alors, ce n’est pas la quantité qui compte mais la qualité. Il faut être son propre juge. Après tout, chaque artiste est son premier spectateur. Ce qu’il y a de plus important est la cohérence de la vision. La force du regard. Et celle-ci ne saurait souffrir aucune demi-mesure.



Paintings on death row / Tableaux dans le couloir de la mort

18/04/2012

Picasso, Self-portraits and the Fandango



Self-portrait / Autoportrait, oil on linen
/ huile sur lin, 36cmX31cm
2012


(Le français suit)
This recent self-portrait of mine reminds me of a Picasso I greatly admire. Now that I think about it, this work had a great influence on me. It’s funny how very few paintings are really significant in one’s life after all. And a lot of the time it’s not the ones we expect. For me, it’s probably the most important self-portrait. It’s so intense and simple at the same time. A skull-like face drawn with a few lines in an almost childish way. A bit of color here and there. A hypnotic gaze that gives magical power to it, much like in African statuary. But more than anything, the feeling that Picasso is looking at death face to face. Naked and true.


Some say only the Spanish can cultivate death in their work to that extent. I don’t know but some days I wish I could dance the fandango!

***

Ce récent autoportrait me fait penser à un Picasso que j’admire particulièrement. Maintenant que j’y pense, cette œuvre m’a vraiment marqué. C’est drôle comment, au fond, un nombre très réduit d’œuvres sont signifiantes dans la vie de quelqu’un. Et souvent, ce n’est pas celles qu’on pourrait croire à première vue. Pour moi, cet autoportrait est le plus important qui existe. Il est si intense et pourtant si simple. Un visage réduit à l’idée d’un crâne dessiné par quelques lignes presque enfantines. Un peu de couleur par-ci par-là. Un regard hypnotique qui lui donne un pouvoir magique semblable à celui de la statuaire africaine. Mais plus que tout, l’impression que Picasso regarde la mort face à face. Nu et vrai.

Certains disent que seulement les Espagnols sont capables de cultiver à ce point la mort dans leurs œuvres. Je ne sais pas mais certains jours, j’aimerais beaucoup savoir danser le fandango!



Picasso, Self-portrait / Autoportrait, 1972


12/04/2012

White Triptych / Triptyque blanc



White Triptych / Triptyque blanc, oil on linen
/ huile sur lin, 122cmX92cm each / chacun, 2012




Left Panel / Panneau de gauche




Central Panel / Panneau central




Right panel / Panneau de droite


(Le français suit.)

I completed this work yesterday. What a relief it was to finally let go! It was very intense to work on that piece. Why? The answer is simple and will address the main question I expect people will have while looking at the work. There is no story. Nothing outside what’s there on the canvas. The title “White Triptych” gives no clue. I painted it with no safety net. No narrative on which you can rest your mind and “stop looking”. I painted that triptych with the sole intent to make an image as intense as possible. This resulted in a very precarious painting process where nothing was ever definitely acquired. I painted a background and erased it the day after. A three-headed figure ended up with just one and a single-headed figure was finally decapitated, a bizarre necklace of teeth submerged by pouring blood in place of the wound. This same figure that was originally a woman was then gratified with a penis… So, lots of transformations that preoccupied me and that I can’t really explain. I don’t hold the key to the enigma. I just painted what excited me and what seemed to work. To paint that way, without the back-up of a storyline, even as subtle as it can be, one needs to be particularly confident. That’s why I’m very proud of that piece. And also because I like kicking people in the guts. I hope this satisfies a bit the urge a few of you already expressed for some kind of “explanation”. Still, I wish on no account to diminish the scope of that triptych. Yours truly. Mathieu


***


J’ai achevé cette œuvre hier. Je crois que dans ce cas-ci, je peux dire achever et non terminer. Quel soulagement que de finalement lâcher prise! C’était très intense de travailler à cette œuvre. Pourquoi? La réponse est simple et viendra apaiser un peu, je l’espère, la profonde interrogation suscitée par ces toiles. C’est-à-dire que non, il n’y a pas d’histoire. Rien d’autre que ce qui est peint sur la toile. De pures images. Le titre «Triptyque blanc» ne donne aucun indice non plus. Il n’y a pas de scénario apparent sur lequel on peut reposer son esprit et «arrêter de regarder». J’ai peint ce triptyque avec comme seule intention de faire une image aussi intense que possible. Le résultat en a été un processus de création plutôt laborieux où rien n’était réellement acquis. J’ai peint un arrière-plan et l’ai effacé le lendemain. Un personnage à trois têtes a fini par n’en porter qu’une et un personnage à une tête s’est fait décapiter en bout de ligne, un collier bizarre de dents ensanglantées à la place du cou. Ce même personnage qui était une femme s’est trouvé gratifié d’un pénis au final… Donc, beaucoup de transformations m’ont préoccupé que je ne peux expliquer. Je ne détiens pas la clé de l’énigme. Je fais seulement que peindre ce qui m’excite et qui semble fonctionner. Pour peindre de cette manière, sans le renfort d’aucune histoire, même la plus subtile, il faut être particulièrement confiant. C’est pourquoi je suis si fier de cette œuvre. Et aussi parce que j’aime bien frapper les gens aux tripes. J’espère que ce petit mot satisfait l’urgence que certains ont déjà exprimée pour des clés de lecture. Malgré tout, en aucun cas je ne voudrais diminuer la portée de ce triptyque. Qu’il reste blanc. Vôtre sincèrement. Mathieu



In the studio / Dans l'atelier