Mathieu Laca, La Nuit de l'Oracle (détail) 2011
(English follows)
À mon premier contact avec l’œuvre de Mathieu
Laca, La Nuit de l’Oracle, j’ai réagi de manière bien étrange. J’ai ressenti
une espèce de tristesse mêlée d’érotisme, une nostalgie indescriptible mais
assurément sensuelle. La scène représentée est forte et puissante, mais
également mystérieuse ; le tableau me parlait comme rarement une œuvre n’a
su le faire. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris ce que cette œuvre
voulait me dire.
Mes années d’études au Collège Universitaire
(établissement ancêtre du cégep) n’ont pas été mes plus heureuses, loin de là.
Je vivais seul dans une ville que je ne connaissais pas, et je devais
travailler d’arrache-pied pour apprendre le latin, le grec ancien, la
littérature française et malheureusement bien d’autres matières qui semblaient
toutes plus assommantes et inutiles au jeune de 17 ans que j’étais. Par contre,
comme ma mère l’exigeait, je me devais d’être le meilleur élève de ma
classe ; ma mère a toujours été pour moi un tyran qui n’exige rien de
moins que l’on satisfasse ses moindres caprices. Alors, pour éviter de sombrer
inévitablement et définitivement dans la démence, je passais d’interminables
heures à contempler les œuvres d’art qui illustraient mes manuels scolaires.
L’une d’elles me fascinait particulièrement : il s’agissait de l’œuvre Les
Sabines de Jacques-Louis David. Bien sûr, les superbes corps nus y étaient pour
beaucoup dans le trouble que je ressentais mais l’émotion dépassait largement
la banale excitation sexuelle. J’ai passé des heures, de longues et très
plaisantes heures simplement à admirer cette scène.
C’est à cette œuvre que me fait penser La Nuit
de l’Oracle. Y a-t-il une parenté à ce point évidente entre les deux
œuvres ? Rien n’est moins sûr ! Ce n’est qu’une impression, une bien
étrange mais bien plaisante impression. Plaisante car cette impression me vient
d’une période bien importante de ma vie, cette période de mon existence au
cours de laquelle j’ai compris que la vie peut nous procurer des plaisirs bien
subtils, des plaisirs bien plus sensuels que tout ce que j’ai pu ressentir au
cours de mon enfance.
Je pense que l’œuvre de David a fait pour moi
ce que le Saint-Sébastien de Guido Reni a fait dans la vie de Yukio Mishima.
Dans sa Confession d’un Masque, Mishima raconte comment l’œuvre de Reni lui a
valu sa première véritable expérience sexuelle.
De La Nuit de l’Oracle aux Sabines, des
Sabines à Saint-Sébastien, de Saint-Sébastien à l’œuvre puissante de Yukio
Mishima, l’art est une chaîne ininterrompue d’émotions subtiles qui rendent les
pires périodes de notre vie supportables et qui donnent aux moments magnifiques
tellement plus de puissance.
Si vous êtes un artiste et que vous suez à
grosses gouttes devant la prochaine œuvre que vous comptez présenter, peut-être
vous préparez-vous à provoquer tout un impact dans la vie de quelqu’un,
peut-être même dans la vie d’un jeune qui se torture littéralement à vouloir
devenir lui-même artiste. C’est pour ça que vous travaillez avec tant
d’acharnement. Et peut-être qu’un jour, ce jeune éveillera à son tour, en vous,
une mystérieuse mais puissante émotion.
Les
Sabines de Jacques-Louis David Mathieu Laca, La Nuit de l'Oracle
Saint-Sébastien de Guido Reni Yukio
Mishima en Saint-Sébastien
When I
first saw Mathieu Laca’s painting Oracle Night, I felt something particularly
strange. It was a mix of sadness and eroticism, some kind of indescribable
nostalgia. The scene has something very powerful, very mysterious but I felt
that this work was talking to me as nothing else could. And, one day, I
understood what the work was trying to tell me.
My college
years were not, and by far, the happiest years of my life. I was living alone
in a city I didn’t know, having to work very hard to learn Latin, Greek and
French literature, and many other topics that sounded rather boring and
especially useless to the seventeen years old kid I was at the time. But, as my
mother required, I had to be the best student in my class; she had always been some
kind of tyrant to me and I never had any other choice but to please her. So,
just to make sure I didn’t become crazy, I used to spend long hours
contemplating those pictures of classical works of art printed in my books. One
of them was especially fascinating: it was Jacques-Louis David’s Intervention
of the Sabine Women. Of course, the naked bodies were for something in the
excitement the picture aroused but I believe it was much more than a simple
trivial sexual feeling. I could spend hours just looking at the painting, long
and very pleasing hours.
That is
what Oracle Night reminded me of. Is there an obvious relationship between the
two works; not sure. It’s only a feeling, a very strange but so pleasant
feeling. Pleasant because it represents such an important part of my life, that
part of my life when I learned that life could bring very subtle pleasures,
pleasures much more sensuous than everything I had experienced during my
childhood.
I think
that David’s work did for me what Guido Reni’s Saint-Sebastian did in the life
of Yukio Mishima. In his Confessions of a Mask, Mishima relates how Reni’s work
granted him his first real sexual experience.
From Oracle
Night to the Sabine Women, from the Sabine Women to Saint-Sebastian, from
Saint-Sebastian to the powerful work of Yukio Mishima, art is an unbreakable
chain of subtle feelings that makes even the worst parts of our lives bearable
and the happiest parts so much more valuable.
If you are
an artist working on the next piece you intend to show, maybe you are about to
make a huge difference in the life of somebody, maybe in the life of a sad kid
working his ass off to become an artist himself. That’s why you are working so
hard. And maybe, some day, this sad kid will awaken that very powerful and very
mysterious feeling in your heart.
Comeau