21/05/2012

Choix de société, dites-vous ?

Mathieu Laca, Étude d'écorché, 2012

En connaissez-vous, vous, des gens qui sont du bon bord des « choix de société » ?

C’était pas le cas de mon père. Né en 1911, il a perdu ses deux parents en 1918 dans une épidémie. À ce moment, la Société avait décidé que les orphelins n’avaient pas droit à la moindre protection. Il a quitté l’école à 7 ans et a été placé comme garçon de ferme. En manipulant un outil de ferme, il a perdu les 4 doigts de sa main droite. La Société avait décidé que personne n’avait droit aux soins de santé gratuits, encore moins les orphelins ; on lui recousu les trous tant bien que mal et «qu’il s’arrange». Lorsqu’il a été jugé assez vieux pour «s’arranger» on lui a dit de se trouver un emploi… avec 4 doigts en moins et une 2e année non terminée. Il est devenu bedeau ; un curé l’a engagé… «par charité». Quand il est décédé en 1970, il ne faisait pas $100 par semaine. Il a construit sa maison avec une main et demie, avec des matériaux souvent recyclés, ou donnés, ou achetés en solde. Aucune aide de personne, surtout pas de la Société. Il s’est débattu comme il a pu.

C’était pas le cas de ma mère. C’était une artiste. Placée en pension à l’âge de 5 ans à cause d’un père alcoolique et incestueux, elle a reçu des bonnes sœurs le goût des arts. Elle a baisé avec mon père qu’elle n’aimait pas vraiment, est tombée enceinte ; la Société a décidé que, amour ou non, ils devaient se marier. Elle a eu le goût du théâtre ; c’était une tragédienne née. La Société l’a copieusement traitée de traînée, de femme de mauvaise vie, de putain. Les curés (les patrons de mon père et grands patrons de la Société) l’ont tourmenté pour qu’elle cesse le théâtre et fasse des enfants. Elle a résisté pour les enfants mais sous la menace de mon père, elle a abandonné le théâtre. Elle est devenue plus ou moins folle transportant son goût du théâtre de la scène à la vie. Elle était invivable. Elle s’est débattu comme elle a pu.

C’était pas non plus mon cas. À cinq ans, je préférais me travestir avec les robes de ma mère plutôt que de jouer au hockey. La Société m’a tapé dessus jusqu’à ce que je rentre dans mon trou. Je me suis retrouvé dans le camps de ma mère : dessin, peinture, modelage, bricolage et enfin… théâtre. Mais seul. Insupportablement seul. Seul à l’école. Seul dans le jeux. Je me suis débattu comme j’ai pu.

Je suis entré aux études supérieures la gueule enflée, des bosses sur la tête et des pantalons déchirés. Parti de mon patelin natal, j’ai cherché à échapper aux «choix de société». Fils de bedeau et de comédienne déchue, j’étais cassé. Je travaillais tous mes étés. Avec ce peu d’argent, j’ai payé mes frais de scolarité et coupé au maximum sur le «baloney» pour tenter d’oublier que j’étais du mauvais bord des «choix de société» : j’ai bu, j’ai fumé, j’ai «droppé», j’ai «sniffé». Je me suis débattu. Huit tentatives de suicide plus tard, j’ai reçu mon diplôme : Maîtrise es Arts en linguistique, spécialisé en phonétique expérimentale. Pendant que je me tuais (sans jeu de mots) à compléter un B.A, une Licence en Lettres et ma Maîtrise, les gars en science développaient l’informatique qui permettait de faire en trois secondes ce que j’avais appris à faire en six mois en laboratoire. Pas du bon bord des «choix de société».

Je me suis débattu. Je suis allé enseigner le Français au secondaire. Il y a 35 ans de ça, le milieu scolaire n’était pas très sympathique aux homosexuels. Faire la liste des chienneries que j’ai endurées parce que j’étais du mauvais bord des «choix de société» serait pathétique. J’ai fini par canaliser ma frustration en m’improvisant plus ou moins travailleur social : j’ai aidé à sauver la vie de quelques ados qui étaient du mauvais bord des «choix de société». Je les aidais à se débattre comme ils le pouvaient. J’ai reçu de la merde des parents, des autorités scolaires, de la Commission Scolaire, des directeurs de pastorale, des confrères professeurs, d’un bon nombre d’étudiants. On m’a traité de pédophile, de Satan ; on m’a dit de me mêler de mes affaires, on m’a menacé de poursuites, on a déposé des griefs contre moi. Certaines personnes, étudiants, professeurs et directeurs changeaient de côté de corridor lorsqu’ils me voyaient. Et ça, c’est ce que je savais…

Lorsque j’ai eu 57 ans, la Société a fait le choix de me laisser marier qui je voulais. Ce que je ne savais pas, c’est que la Société tolérait que j’épouse «Mon homme» mais qu’elle en avait contre le fait qu’il était beaucoup plus jeune que moi. Encore aujourd’hui, je suis incapable de répéter certaines bassesses que j’ai dû essuyer. Aux yeux de certains, mon «jeune époux» était carrément une victime. Je me débats contre les préjugés comme je le peux.

Mon mari est gay ! Mon mari a eu une adolescence de merde. Mon mari a fait des études universitaires sans l’aide de sa famille. Mon mari s’est fait regarder tout croche parce qu’il épousait un vieux. Mon mari est artiste. Mon mari peint sa colère comme il le veut. Mais, heureusement, mon mari est un génie.

Maintenant, on est deux pour se débattre comme on le peut. La différence est énorme. On est heureux !

Endettement des étudiants, gratuité scolaire, financement des universités, etc. Quand va-t-on comprendre que derrière tous ces combats légitimes qui se soldent par des «choix de société» il n’y a qu’une seule certitude : dans la Société il y a ceux qui sont nés avec le nom Charest, Desmarais, Péladeau et ceux qui sont invariablement nés du mauvais bord des «choix sociaux». À ceux qui me diront : «C’est comme ça que ça marche, la Société c’est la Société et c’est la majorité qui gagne», je réponds : «Fuck You» !

Comeau

1 commentaire:

  1. Je voudrais bien ajouter un commentaire...mais à froid comme ça je suis sans mots...je n'ai que des sanglots...la différence en Société sera toujours mal venue...j'en ai souvent payé le prix (différence d'âge-pis encore un couple homme-femme... pis encore c'est moi la femme qui est plus vieille) mais ensemble on a passé au travers... on fête notre 33e anniversaire de vie commune contre vents et marées...et pis comme tu dis si bien "Fuck you"

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