Mathieu Laca, Étude d'écorché, 2012
C’était pas le cas de mon père. Né en 1911, il
a perdu ses deux parents en 1918 dans une épidémie. À ce moment, la Société
avait décidé que les orphelins n’avaient pas droit à la moindre protection. Il
a quitté l’école à 7 ans et a été placé comme garçon de ferme. En manipulant un
outil de ferme, il a perdu les 4 doigts de sa main droite. La Société avait
décidé que personne n’avait droit aux soins de santé gratuits, encore moins les
orphelins ; on lui recousu les trous tant bien que mal et «qu’il
s’arrange». Lorsqu’il a été jugé assez vieux pour «s’arranger» on lui a dit de
se trouver un emploi… avec 4 doigts en moins et une 2e année non
terminée. Il est devenu bedeau ; un curé l’a engagé… «par charité». Quand
il est décédé en 1970, il ne faisait pas $100 par semaine. Il a construit sa
maison avec une main et demie, avec des matériaux souvent recyclés, ou donnés,
ou achetés en solde. Aucune aide de personne, surtout pas de la Société. Il
s’est débattu comme il a pu.
C’était pas le cas de ma mère. C’était une
artiste. Placée en pension à l’âge de 5 ans à cause d’un père alcoolique et
incestueux, elle a reçu des bonnes sœurs le goût des arts. Elle a baisé avec
mon père qu’elle n’aimait pas vraiment, est tombée enceinte ; la Société a
décidé que, amour ou non, ils devaient se marier. Elle a eu le goût du
théâtre ; c’était une tragédienne née. La Société l’a copieusement traitée
de traînée, de femme de mauvaise vie, de putain. Les curés (les patrons de mon
père et grands patrons de la Société) l’ont tourmenté pour qu’elle cesse le
théâtre et fasse des enfants. Elle a résisté pour les enfants mais sous la
menace de mon père, elle a abandonné le théâtre. Elle est devenue plus ou moins
folle transportant son goût du théâtre de la scène à la vie. Elle était
invivable. Elle s’est débattu comme elle a pu.
C’était pas non plus mon cas. À cinq ans, je
préférais me travestir avec les robes de ma mère plutôt que de jouer au hockey.
La Société m’a tapé dessus jusqu’à ce que je rentre dans mon trou. Je me suis
retrouvé dans le camps de ma mère : dessin, peinture, modelage, bricolage
et enfin… théâtre. Mais seul. Insupportablement seul. Seul à l’école. Seul dans
le jeux. Je me suis débattu comme j’ai pu.
Je suis entré aux études supérieures la gueule
enflée, des bosses sur la tête et des pantalons déchirés. Parti de mon patelin
natal, j’ai cherché à échapper aux «choix de société». Fils de bedeau et de
comédienne déchue, j’étais cassé. Je travaillais tous mes étés. Avec ce peu
d’argent, j’ai payé mes frais de scolarité et coupé au maximum sur le «baloney»
pour tenter d’oublier que j’étais du mauvais bord des «choix de société» :
j’ai bu, j’ai fumé, j’ai «droppé», j’ai «sniffé». Je me suis débattu. Huit
tentatives de suicide plus tard, j’ai reçu mon diplôme : Maîtrise es Arts
en linguistique, spécialisé en phonétique expérimentale. Pendant que je me
tuais (sans jeu de mots) à compléter un B.A, une Licence en Lettres et ma
Maîtrise, les gars en science développaient l’informatique qui permettait de
faire en trois secondes ce que j’avais appris à faire en six mois en
laboratoire. Pas du bon bord des «choix de société».
Je me suis débattu. Je suis allé enseigner le
Français au secondaire. Il y a 35 ans de ça, le milieu scolaire n’était pas
très sympathique aux homosexuels. Faire la liste des chienneries que j’ai
endurées parce que j’étais du mauvais bord des «choix de société» serait
pathétique. J’ai fini par canaliser ma frustration en m’improvisant plus ou
moins travailleur social : j’ai aidé à sauver la vie de quelques ados qui
étaient du mauvais bord des «choix de société». Je les aidais à se débattre
comme ils le pouvaient. J’ai reçu de la merde des parents, des autorités
scolaires, de la Commission Scolaire, des directeurs de pastorale, des
confrères professeurs, d’un bon nombre d’étudiants. On m’a traité de pédophile,
de Satan ; on m’a dit de me mêler de mes affaires, on m’a menacé de
poursuites, on a déposé des griefs contre moi. Certaines personnes, étudiants,
professeurs et directeurs changeaient de côté de corridor lorsqu’ils me
voyaient. Et ça, c’est ce que je savais…
Lorsque j’ai eu 57 ans, la Société a fait le
choix de me laisser marier qui je voulais. Ce que je ne savais pas, c’est que
la Société tolérait que j’épouse «Mon homme» mais qu’elle en avait contre le
fait qu’il était beaucoup plus jeune que moi. Encore aujourd’hui, je suis
incapable de répéter certaines bassesses que j’ai dû essuyer. Aux yeux de certains,
mon «jeune époux» était carrément une victime. Je me débats contre les préjugés
comme je le peux.
Mon mari est gay ! Mon mari a eu une
adolescence de merde. Mon mari a fait des études universitaires sans l’aide de
sa famille. Mon mari s’est fait regarder tout croche parce qu’il épousait un
vieux. Mon mari est artiste. Mon mari peint sa colère comme il le veut. Mais,
heureusement, mon mari est un génie.
Maintenant, on est deux pour se débattre comme
on le peut. La différence est énorme. On est heureux !
Endettement des étudiants, gratuité scolaire,
financement des universités, etc. Quand va-t-on comprendre que derrière tous
ces combats légitimes qui se soldent par des «choix de société» il n’y a qu’une
seule certitude : dans la Société il y a ceux qui sont nés avec le nom
Charest, Desmarais, Péladeau et ceux qui sont invariablement nés du mauvais
bord des «choix sociaux». À ceux qui me diront : «C’est comme ça que ça
marche, la Société c’est la Société et c’est la majorité qui gagne», je réponds :
«Fuck You» !
Comeau
Je voudrais bien ajouter un commentaire...mais à froid comme ça je suis sans mots...je n'ai que des sanglots...la différence en Société sera toujours mal venue...j'en ai souvent payé le prix (différence d'âge-pis encore un couple homme-femme... pis encore c'est moi la femme qui est plus vieille) mais ensemble on a passé au travers... on fête notre 33e anniversaire de vie commune contre vents et marées...et pis comme tu dis si bien "Fuck you"
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