25/04/2012

La Nuit de l'Oracle



 Mathieu Laca, La Nuit de l'Oracle (détail) 2011
(English follows)

À mon premier contact avec l’œuvre de Mathieu Laca, La Nuit de l’Oracle, j’ai réagi de manière bien étrange. J’ai ressenti une espèce de tristesse mêlée d’érotisme, une nostalgie indescriptible mais assurément sensuelle. La scène représentée est forte et puissante, mais également mystérieuse ; le tableau me parlait comme rarement une œuvre n’a su le faire. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris ce que cette œuvre voulait me dire.

Mes années d’études au Collège Universitaire (établissement ancêtre du cégep) n’ont pas été mes plus heureuses, loin de là. Je vivais seul dans une ville que je ne connaissais pas, et je devais travailler d’arrache-pied pour apprendre le latin, le grec ancien, la littérature française et malheureusement bien d’autres matières qui semblaient toutes plus assommantes et inutiles au jeune de 17 ans que j’étais. Par contre, comme ma mère l’exigeait, je me devais d’être le meilleur élève de ma classe ; ma mère a toujours été pour moi un tyran qui n’exige rien de moins que l’on satisfasse ses moindres caprices. Alors, pour éviter de sombrer inévitablement et définitivement dans la démence, je passais d’interminables heures à contempler les œuvres d’art qui illustraient mes manuels scolaires. L’une d’elles me fascinait particulièrement : il s’agissait de l’œuvre Les Sabines de Jacques-Louis David. Bien sûr, les superbes corps nus y étaient pour beaucoup dans le trouble que je ressentais mais l’émotion dépassait largement la banale excitation sexuelle. J’ai passé des heures, de longues et très plaisantes heures simplement à admirer cette scène.

C’est à cette œuvre que me fait penser La Nuit de l’Oracle. Y a-t-il une parenté à ce point évidente entre les deux œuvres ? Rien n’est moins sûr ! Ce n’est qu’une impression, une bien étrange mais bien plaisante impression. Plaisante car cette impression me vient d’une période bien importante de ma vie, cette période de mon existence au cours de laquelle j’ai compris que la vie peut nous procurer des plaisirs bien subtils, des plaisirs bien plus sensuels que tout ce que j’ai pu ressentir au cours de mon enfance.

Je pense que l’œuvre de David a fait pour moi ce que le Saint-Sébastien de Guido Reni a fait dans la vie de Yukio Mishima. Dans sa Confession d’un Masque, Mishima raconte comment l’œuvre de Reni lui a valu sa première véritable expérience sexuelle.

De La Nuit de l’Oracle aux Sabines, des Sabines à Saint-Sébastien, de Saint-Sébastien à l’œuvre puissante de Yukio Mishima, l’art est une chaîne ininterrompue d’émotions subtiles qui rendent les pires périodes de notre vie supportables et qui donnent aux moments magnifiques tellement plus de puissance.

Si vous êtes un artiste et que vous suez à grosses gouttes devant la prochaine œuvre que vous comptez présenter, peut-être vous préparez-vous à provoquer tout un impact dans la vie de quelqu’un, peut-être même dans la vie d’un jeune qui se torture littéralement à vouloir devenir lui-même artiste. C’est pour ça que vous travaillez avec tant d’acharnement. Et peut-être qu’un jour, ce jeune éveillera à son tour, en vous, une mystérieuse mais puissante émotion.

 Les Sabines de Jacques-Louis David     Mathieu Laca, La Nuit de l'Oracle
 Saint-Sébastien de Guido Reni     Yukio Mishima en Saint-Sébastien
 
When I first saw Mathieu Laca’s painting Oracle Night, I felt something particularly strange. It was a mix of sadness and eroticism, some kind of indescribable nostalgia. The scene has something very powerful, very mysterious but I felt that this work was talking to me as nothing else could. And, one day, I understood what the work was trying to tell me.

My college years were not, and by far, the happiest years of my life. I was living alone in a city I didn’t know, having to work very hard to learn Latin, Greek and French literature, and many other topics that sounded rather boring and especially useless to the seventeen years old kid I was at the time. But, as my mother required, I had to be the best student in my class; she had always been some kind of tyrant to me and I never had any other choice but to please her. So, just to make sure I didn’t become crazy, I used to spend long hours contemplating those pictures of classical works of art printed in my books. One of them was especially fascinating: it was Jacques-Louis David’s Intervention of the Sabine Women. Of course, the naked bodies were for something in the excitement the picture aroused but I believe it was much more than a simple trivial sexual feeling. I could spend hours just looking at the painting, long and very pleasing hours.

That is what Oracle Night reminded me of. Is there an obvious relationship between the two works; not sure. It’s only a feeling, a very strange but so pleasant feeling. Pleasant because it represents such an important part of my life, that part of my life when I learned that life could bring very subtle pleasures, pleasures much more sensuous than everything I had experienced during my childhood.

I think that David’s work did for me what Guido Reni’s Saint-Sebastian did in the life of Yukio Mishima. In his Confessions of a Mask, Mishima relates how Reni’s work granted him his first real sexual experience.

From Oracle Night to the Sabine Women, from the Sabine Women to Saint-Sebastian, from Saint-Sebastian to the powerful work of Yukio Mishima, art is an unbreakable chain of subtle feelings that makes even the worst parts of our lives bearable and the happiest parts so much more valuable.

If you are an artist working on the next piece you intend to show, maybe you are about to make a huge difference in the life of somebody, maybe in the life of a sad kid working his ass off to become an artist himself. That’s why you are working so hard. And maybe, some day, this sad kid will awaken that very powerful and very mysterious feeling in your heart.

 Comeau

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