29/04/2012

Il a fait l’amour à l’Art (The First Time He Made Love to Art)

Mathieu Laca, Si comme lui... graphite et encre, 1999
(English follows)

C’est un dessin de bonnes dimensions : 104 cm X 125 cm. Au catalogue de ses œuvres, il porte le numéro D99005. Donc, il fut exécuté en 1999. Je me souviens, c’était au début du printemps, ou peut-être encore à la fin de l’hiver. 1999? Il n’avait donc que 16 ans. Il était très… non… affreusement discret. On pouvait lire dans ses yeux une tristesse infinie; ça en était insoutenable. Tout le monde savait trop bien que quelque chose n’allait pas. Mais quoi?

Même le directeur de l’école convenait que ce n’était pas un jeune comme les autres. Son professeur d’art disait à qui voulait l’entendre qu’elle était fascinée de ce qu’il pouvait produire simplement avec un bout de papier et un crayon. Devant tant de preuves de son talent exceptionnel et se rendant aux pressions de plusieurs adultes, le directeur d’école a fini par dénicher quelque part une pièce bizarre qui avait été engendrée par deux rénovations mal planifiées, une pièce toute en longueur inutilisable pour des fins scolaires qu’on a vite nommée «l’autobus» à cause de sa forme. Cette garde-robe surdimensionnée ou plutôt cet entrepôt négligé est devenu son atelier personnel. C’est fascinant de constater comme les administrateurs scolaires peuvent se transformer en véritables magiciens lorsqu’ils font face à un problème insoluble qui leur fait un peu peur! Surtout lorsqu’ils craignent que ce problème un tantinet explosif puisse ternir la réputation de leur institution. Un élève trop brillant mais triste et renfermé c’est une grenade dégoupillée pour eux!

Au bout de quelques mois à suer sur des dessins, des peintures et des sculptures, après des centaines d’éclaboussures d’acrylique et d’encre de Chine, un soir, il se fit encore plus discret qu’à l’habitude, si tant est que la chose soit possible. C’est tout juste si on entendait le frottement du bâton de graphite sur la grande feuille de papier épinglée au mur. Honnêtement, je ne suis pas vraiment sûr qu’il respirait.

Au début, ce n’était rien d’autre qu’un amas de lignes et de courbes désorganisées. Puis, je le vis apparaître : un être désespéré arrachait de grands pans du mur derrière lequel il était prisonnier. Un être troublé, déchiré. Un personnage tragique… un drame. Un personnage qui retient depuis trop longtemps un hurlement. Un être tentant désespérément de crier toute la douleur emprisonnée dans son corps trop frêle, cette insoutenable douleur que bien peu de gens savaient voir. Un être qui s’est figé dans cet état, un être qui n’a jamais crié, qui n’a jamais hurlé. Une douleur fossilisée dans une nuit insondable.

Ce soir-là, j’ai compris qu’il pourrait probablement sourire un jour. Il venait de découvrir que le bonheur est possible malgré tout, malgré l’angoisse, malgré le chagrin, malgré la solitude, malgré… Que grâce à l’Art, le bonheur est possible.

Ce soir-là, pour la première fois, il avait fait l’amour à un tableau, il venait d’embrasser l’Art.

Comeau
 
The First Time He Made Love to Art

The drawing is a mighty large one: 41” X 49”. In his catalog of works, it bears the number D99005. So it was made in 1999. I remember, it was early Spring, or maybe still late Winter. 1999? So he was only 16 years old. He was a very, no, terribly quiet teenager with so much sadness in his eyes that it was almost unbearable. Everybody knew there was something wrong, but what?

Even the school principal was convinced that he was no ordinary kid. Since his art teacher was astonished by what he could do with a simple pencil and a piece of paper, the school administrators accepted to let him use some kind of weird room, some residual space between two renovated classrooms. This huge wardrobe or small stockroom became his private studio. Isn’t it marvelous miracles school administrators can do when they are stuck with a problem they can’t solve? Especially if they fear the problem may eventually tarnish the school’s reputation! A very bright and much too sad kid, that’s a bomb for school administrators.

After a few months of working on drawings, paintings and sculpting, after many splashes of acrylic paint and India ink, one evening, he was especially quiet. We could only hear the scratches of a graphite stick on a large piece of paper tacked to the wall. I’m not even sure he was breathing!

At first, it was nothing else than unorganized lines and curves. And then, it started to appear: a figure ripping the black wall behind which he was held prisoner. A tormented figure. A tragic figure. A figure ready to scream. A figure ready to shout all the pain buried in a fragile body, a body that could not bear anymore a suffering that very few people could identify. A figure that froze just like that, a figure that never screamed, never shouted.

After that, he started to smile more and more. We could see he discovered that happiness is possible even if your life is too dark. That happiness is possible through art.

That evening, for the first time, he made love to art.

Comeau

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