10/06/2012

Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud, huile sur lin/oil on linen, 77cmX62cm, 2011
Collection privée (Norvège) / Private collection (Norway)



Si le monde était dévasté en un clin d’œil, le seul livre qui saurait me donner du réconfort, le seul livre qui me permettrait réellement de vivre, puisqu’il contient le monde, serait Les Illuminations de Rimbaud. Il est de ces livres dont on n’épuise jamais le mystère, dont chaque phrase est une gorgée d’enfance qui nous emporte dans une merveilleuse torpeur. Il est de ces livres qui transforment. Même Rimbaud n’y a pas survécu. Consumé par son œuvre, il a dû « s’opérer vivant de la poésie » et cesser totalement d’écrire à 21 ans. Son silence demeurera à jamais le plus retentissant de toute la Poésie.

J’ai peint ce portrait de lui par amour. Alors qu’il n’était même pas encore sec, je l’ai vendu dans un pays lointain. Je vais l’envoyer prochainement. Tout cela n’a pas vraiment d’importance. Rimbaud existe. Il est partout. Il est avec moi. Il est en Norvège. Il est sur Jupiter où il jongle avec des sphères de métal. Non, il marche vers l’aurore. Éternellement. On n’a qu’à ouvrir un livre pour s’en rendre compte. Ou bien gratter une orange.

Moi, je peins continuellement. Et chaque fois que je pense à lui, je pleure.

Mathieu Laca

P.S. Voici un de mes poèmes préférés:

(English follows)


Conte

Un Prince était vexé de ne s'être employé jamais qu'à la perfection des générosités vulgaires. Il prévoyait d'étonnantes révolutions de l'amour, et soupçonnait ses femmes de pouvoir mieux que cette complaisance agrémentée de ciel et de luxe. Il voulait voir la vérité, l'heure du désir et de la satisfaction essentiels. Que ce fût ou non une aberration de piété, il voulut. Il possédait au moins un assez large pouvoir humain.

Toutes les femmes qui l'avaient connu furent assassinées. Quel saccage du jardin de la beauté! Sous le sabre, elles le bénirent. Il n'en commanda point de nouvelles. Les femmes réapparurent.

Il tua tous ceux qui le suivaient, après la chasse ou les libations. Tous le suivaient.

Il s'amusa à égorger les bêtes de luxe. Il fit flamber les palais. Il se ruait sur les gens et les taillait en pièces. La foule, les toits d'or, les belles bêtes existaient encore.

Peut-on s'extasier dans la destruction, se rajeunir par la cruauté! Le peuple ne murmura pas. Personne n'offrit le concours de ses vues.

Un soir il galopait fièrement. Un Génie apparut, d'une beauté ineffable, inavouable même. De sa physionomie et de son maintien ressortait la promesse d'un amour multiple et complexe! d'un bonheur indicible, insupportable même! Le Prince et le Génie s'anéantirent probablement dans la santé essentielle. Comment n'auraient-ils pas pu en mourir? Ensemble donc ils moururent.

Mais ce Prince décéda, dans son palais, à un âge ordinaire. Le prince était le Génie. Le Génie était le Prince.

La musique savante manque à notre désir.


Rimbaud, (Les Illuminations, 1873-1875)



Tale

A Prince was vexed at having devoted himself only to the perfection of ordinary generosities.
He foresaw astonishing revolutions of love
and suspected his women of being able to do better
than their habitual acquiescence embellished by heaven and luxury.
He wanted to see the truth, the hour of essential desire and gratification.
Whether this was an aberration of piety or not,
that is what he wanted. Enough worldly power, at least, he had.
All the women who had known him were assassinated;
what havoc in the garden of beauty! At the point of the sword they blessed him.
He did not order new ones.-- The women reappeared.
He killed all those who followed him, after the hunt or the libations.--

All followed him. He amused himself cutting the throats of rare animals.
He set palaces on fire. He would rush upon people and hack them to pieces.--
The throngs, the gilded roofs, the beautiful animals still remained.
Can one be in ecstasies over destruction and by cruelty rejuvenated!
The people did not complain. No one offered him the benefit of his views.
One evening he was proudly galloping.
A Genie appeared, of ineffable beauty, unwavorable even.
In his face and in his bearing shone the promise of a complex and multiple love!
of an indescribable happiness, unendurable, even.

The Prince and the Genie annihilated each other probably in essential health.
How could they have helped dying of it?
Together then they died.
But this Prince died in his palace at an ordinary age,
the Prince was the Genie, the Genie was the Prince.--
There is no sovereign music for our desire.


Rimbaud, (Les Illuminations, 1873-1875)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire